On entend souvent dire qu’il vaut mieux être un spécialiste qu’un généraliste, particulièrement dans le contexte de l’intelligence artificielle. En effet, avec l’avènement de modèles de langage comme GPT-4, chacun a accès à des compétences de base dans pratiquement tous les domaines. Si l’on considère qu’un généraliste est quelqu’un qui possède des connaissances superficielles dans plusieurs disciplines, alors il peut sembler risqué de suivre cette voie avec l’IA, car une IA va facilement surpasser une expertise limitée.
Cependant, cette vision d’un généraliste comme une simple « personne qui sait un peu de tout » manque l’essence même de ce rôle. La véritable force du généraliste ne réside pas seulement dans la connaissance superficielle, mais dans sa capacité à relier des concepts de différentes disciplines, à s’adapter rapidement et à voir des solutions là où personne d’autre n’aurait pensé à chercher.
Les généralistes sont généralement des personnes curieuses qui aiment passer d’un domaine à l’autre. Ils aiment comprendre les choses, en particulier dans les domaines incertains ou nouveaux. Ils sont doués pour résoudre les problèmes que les experts du domaine ont du mal à résoudre, car ils sont capables de rassembler des éléments de connaissance provenant de divers domaines.
En raison de leur propension à changer de domaine, les généralistes ont tendance à posséder un large éventail de compétences superficielles. Mais en les mesurant à leurs capacités de « savoir coder » ou à leur connaissance des « techniques de boulangerie », on passe à côté de leur véritable avantage : la capacité à s’adapter à de nouvelles situations et le désir de le faire.
Ce qu’être généraliste signifie vraiment
Un généraliste n’est pas seulement une personne avec un éventail de compétences superficielles. Un généraliste est avant tout un individu curieux, qui aime explorer de nouveaux territoires et découvrir des réponses à des questions complexes dans des domaines variés. Il s’agit d’une personne qui prospère dans ce que David Epstein, dans Range: How Generalists Triumph in a Specialized World, appelle des environnements « difficiles » (wicked) : « Dans ces domaines, les règles du jeu sont souvent floues ou incomplètes, il peut y avoir ou non des schémas répétitifs et ils peuvent ne pas être évidents, et le retour d’information est souvent tardif, imprécis ou les deux à la fois ».
Selon Epstein, c’est là que les généralistes s’épanouissent. Ils sont capables d’utiliser leurs diverses expériences pour aborder les problèmes de manière unique et voir des solutions que personne d’autre ne peut voir.
Chez Tamento, nous travaillons sur des projets web variés, allant du référencement au développement d’applications, en passant par la création graphique, les réseaux sociaux et l’IA. Je ne suis pas un expert absolu dans chacun de ces domaines, mais cette capacité à « toucher à tout » me permet d’aborder un problème avec une compréhension globale. Par exemple, en créant des campagnes de publicité sur les réseaux sociaux, nous devons maîtriser à la fois le graphisme, le copywriting et les aspects techniques de diffusion. Un graphiste pourrait se concentrer uniquement sur l’esthétique, mais un généraliste va aussi comprendre comment cette image s’insère dans une stratégie marketing plus large. En revanche, en tant que généraliste, je ne saurais faire la campagne publicitaire sans Pauline, notre directrice artistique, ni sans Florent, expert du ciblage sur les réseaux sociaux.
Pourquoi l’IA renforce la position des généralistes
Aujourd’hui, avec l’évolution rapide de l’IA, les généralistes sont dans une position avantageuse. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’IA ne rend pas les généralistes obsolètes. Bien au contraire, elle devient un puissant levier pour eux.
Dans des environnements « gentils » (kind), le retour d’information est immédiat et où il existe des schémas clairs et répétitifs qui mènent au succès. C’est dans ces domaines que les experts ont tendance à exceller. Ils peuvent appliquer leur expertise spécifique pour résoudre des problèmes encore et encore, parce qu’ils ont déjà vu ces problèmes sous une forme ou une autre.
Un modèle de langage tel que GPT-4 peut être comparé à avoir « 10 000 doctorats disponibles à portée de main ». Ces modèles sont parfaits pour traiter des tâches spécifiques ou répondre à des questions précises, typiquement le domaine des experts.
Si vous êtes un expert confronté à un problème inédit, un LLM n’imaginera pas de nouvelle solution pour vous. En revanche, il devient un cadeau pour les généralistes, qui peuvent l’utiliser pour se familiariser beaucoup plus rapidement avec de nouveaux domaines, et faire resurgir et appliquer facilement des connaissances acquises dans d’autres domaines. Les généralistes peuvent faire preuve d’adaptabilité et d’imagination pour résoudre les problèmes qu’un modèle linguistique ne peut pas résoudre seul.
Les défis et avantages d’être généraliste dans un monde de spécialistes
Le généraliste est souvent perçu comme quelqu’un qui ne va jamais assez en profondeur sur un sujet. Mais cette perception néglige la polyvalence et l’adaptabilité que cela exige. Être généraliste, c’est savoir comment utiliser ses compétences variées pour poser des questions que les spécialistes, souvent enfermés dans leur expertise, ne penseraient pas à poser. Dans mon rôle chez Tamento, il m’arrive d’aider notre développeur, Julien, sur des problèmes techniques complexes. Même si je ne suis pas un expert en développement (loin de là), mes questions naïves ou généralistes l’amènent souvent à envisager des solutions qu’il n’aurait pas envisagées. Parfois, mes « questions bêtes » sont celles qui débloquent la situation, car elles obligent à regarder le problème sous un autre angle. Mais bien sûr, c’est son expertise, sa spécialisation qui lui permet de résoudre le problème technique.
Dans une époque où les entreprises doivent s’adapter rapidement aux changements technologiques, cette capacité à penser en dehors des sentiers battus est cruciale. L’IA permet aux généralistes de naviguer entre les domaines, d’approfondir rapidement des sujets et de combler leurs lacunes, tout en faisant appel à des spécialistes pour les aspects les plus complexes.
Une collaboration indispensable entre généralistes et spécialistes
Chez Tamento, la collaboration entre généralistes et spécialistes est essentielle. Nos spécialistes apportent une expertise approfondie dans des domaines précis comme le développement ou le référencement. Cependant, c’est la vision globale et la capacité à relier des idées variées des généralistes qui permettent de faire avancer les projets et d’innover. L’IA nous aide en renforçant la capacité des généralistes à comprendre rapidement des concepts techniques et à collaborer efficacement avec des experts.
Un généraliste de demain, armé de l’IA, sera capable d’endosser de nombreux rôles avec une facilité que l’on n’aurait pas pu imaginer auparavant. Il pourra non seulement naviguer dans des domaines nouveaux, mais également aider les spécialistes à aller plus loin dans leur réflexion en posant des questions inattendues.
Le futur appartient aux généralistes : l’avènement d’un nouveau modèle
Historiquement, la spécialisation a été perçue comme l’unique voie vers la réussite, une idée popularisée par Adam Smith avec la division du travail au XVIIIe siècle. Cependant, à mesure que le monde devient de plus en plus complexe, la polyvalence du généraliste retrouve une place prépondérante. Dans l’Antiquité, par exemple, la société athénienne valorisait l’idée d’un citoyen capable de participer à tous les aspects de la vie civique, politique et militaire. Tout citoyen pouvait être juge, juré, sénateur et soldat. Cette vision d’une société de généralistes pourrait bien revenir dans un contexte moderne, grâce à l’IA.
En fin de compte, ce qui fait la force des généralistes, c’est leur capacité à poser les bonnes questions et à utiliser leurs expériences variées pour résoudre des problèmes complexes. À notre époque, où la technologie transforme profondément les métiers, les généralistes sont plus indispensables que jamais. Ils sont ceux qui relient les points, qui innovent et qui s’adaptent à un monde en perpétuelle mutation. Le généraliste ne se définit pas seulement par ce qu’il sait, mais par sa capacité à apprendre, à s’adapter et à collaborer.
Le fait d’être un généraliste nous donne quelque chose que les modèles de langage n’ont pas : la capacité d’apprendre rapidement, de voir et de résoudre des problèmes inédits dans de nouveaux domaines.
Dans une économie comme la notre, la personne qui gagne n’est pas l’expert qui connaît la réponse exacte à une question.
C’est celui qui sait quelles questions poser en premier lieu.