IA en entreprise : comment transformer l’adoption invisible en moteur d’innovation.

Un grand nombre de personnes utilisent l’IA dans leur milieu professionnel. C’est particulièrement le cas en Europe, comme le montre une étude menée en janvier au Danemark : 65 % des spécialistes du marketing, 64 % des journalistes et 30 % des avocats, entre autres, ont déclaré avoir utilisé l’IA dans le cadre de leurs activités. Aux États-Unis, une enquête réalisée en août a révélé qu’un tiers des travailleurs avaient employé une IA générative au cours de la semaine précédente, avec ChatGPT en tête des outils utilisés, suivi de Gemini de Google. Les liens vers les études complètes sont en fin de cet article.

Exemples de gains de productivité observés.

Les utilisateurs constatent des gains significatifs de productivité pour certaines tâches clés. Par exemple, les études démontrent que les consultants accomplissaient 18 tâches différentes 25 % plus rapidement grâce à ChatGPT-4. De plus, une étude sur GitHub Copilot a révélé une augmentation de 26 % de la productivité des développeurs. Ces résultats reflètent également des ressentis personnels : l’étude danoise indique que les utilisateurs estiment que l’IA divise par deux leur temps de travail pour 41 % des tâches qu’ils réalisent.

Mais les dirigeants ne voient pas ou peu d’utilisation de l’IA et surtout peu de gains de productivité grâce à l’IA. Pourquoi ?

Améliorations individuelles vs gains organisationnels.

D’abord les gains organisationnels ne se résument pas à la simple addition des améliorations individuelles.

Pour que l’IA devienne un levier à l’échelle de l’entreprise, il est nécessaire d’investir dans la recherche et le développement (R&D) spécifiques à chaque organisation. Personne, ni un consultant externe ni un éditeur de logiciel, ne peut définir à votre place la meilleure manière d’utiliser l’IA dans votre contexte particulier. Chaque entreprise doit explorer les possibilités de l’IA par elle-même.

Personne ne dispose d’informations spécifiques sur la meilleure façons d’utiliser une IA dans votre entreprise que vos salariés.

Tout le monde est en train de réfléchir aux moyens d’utiliser l’IA : pour prendre l’avantage, vous devez le faire + rapidement.

Pour cela, il est crucial d’adopter une double approche : « pionnier » et « laboratoire« .

Un groupe de cinq personnes en salopette bleue se tient debout, les bras croisés, dans un atelier, incarnant le travail d'équipe et le professionnalisme. Leur présence suggère un environnement où l'adoption invisible fait avancer de manière transparente le moteur de l'innovation dans les environnements techniques ou d'ingénierie.

L’approche des « pionniers »

Les innovations majeures ne proviennent pas des laboratoires de R&D ou de prestataires/consultants externes, mais des personnes qui utilisent réellement les produits et les modifient pour résoudre leurs propres problèmes.

Comme les utilisateurs sont très motivés pour rendre leur travail plus facile grâce à la technologie, ils trouvent des moyens de le faire.

Cette dynamique est particulièrement pertinente avec l’IA, car les utilisateurs experts de leurs métiers peuvent déterminer l’utilité par des essais et des erreurs.

Et ça coute moins cher avec de meilleurs résultats.

Et les études montrent que les gens qui expérimentent l’IA, la trouvent très utile.

Mais ils ne partagent pas leurs résultats avec leurs employeurs.

Au contraire, presque toutes les organisations sont infiltrées par des « pionniers invisibles », des personnes utilisant l’IA dans leur travail sans en parler.

Il vous faut donc de nombreux « pionniers invisibles » pour développer de l’innovation en IA dans votre entreprise et les transformer ensuite en « pionniers » qui partagerons leurs expériences et usages pour l’entreprise.

Pourquoi les « pionniers » sont des « pionniers invisibles » ?

Plusieurs raisons expliquent pourquoi les employés ne partagent pas leurs usages de l’IA :

  • Peur des sanctions : Ils ont été exposés à un discours intimidant sur les sanctions potentielles liées à une mauvaise utilisation de l’IA, souvent sans détails précis sur ce qui est réellement considéré comme une « utilisation inappropriée ». Cela les dissuade de poser des questions et, par crainte d’être punis, ils préfèrent dissimuler leur usage.
  • Perte de reconnaissance : Au sein de leur travail, ils sont perçus comme des héros grâce à leur rapidité à coder et à rédiger des emails pertinents. Ils redoutent que, s’ils avouent recourir à l’IA, leur mérite soit diminué aux yeux de leurs collègues, et choisissent donc de garder cette information pour eux.
  • Inquiétude face aux suppressions d’emplois : Ils ont conscience que l’augmentation de la productivité grâce à l’IA peut être vue par l’entreprise comme une opportunité de réduire les coûts. Craignant pour leur propre poste ou celui de leurs collègues, ils préfèrent taire le fait que l’IA réalise une partie de leurs tâches.
  • Aucun avantage à partager : Ils pensent que, même s’ils ne risquent pas de sanction, révéler leur utilisation de l’IA ne leur apportera aucun avantage. Ils refusent de partager leurs connaissances gratuitement, et préfèrent donc garder leur usage confidentiel.
  • Productivité = plus de travail : Ils savent qu’au lieu de recevoir une récompense pour leur productivité accrue, celle-ci pourrait devenir la norme et conduire à des attentes toujours plus élevées en termes de charge de travail. Pour éviter cela, ils cachent leur utilisation de l’IA.
  • Manque de moyens pour échanger : Enfin, bien qu’ils soient encouragés à partager leurs méthodes et pratiques avec leurs collègues, ils ne disposent d’aucun cadre clair pour expliquer comment l’IA est intégrée dans leur processus, ce qui les pousse également à garder cette information pour eux.

Comment convaincre les pionniers de partager ?

  • Créer un environnement de confiance
    Réduisez la peur en établissant des zones d’expérimentation où l’utilisation de l’IA est encouragée et clairement définie. Assurez-vous que les politiques éthiques et les chartes d’utilisation de l’IA dans l’entreprise soient compréhensibles et non punitives. Offrez des garanties que les gains de productivité ne mèneront pas à des licenciements, créant ainsi une sécurité psychologique.
  • Récompenser les utilisateurs d’IA
    Alignez les systèmes de récompense avec les gains de productivité liés à l’IA. Récompensez les employés qui révèlent leurs utilisations de l’IA avec des incitations significatives : primes, promotions, avantages comme le télétravail, et reconnaissez les innovations majeures.
  • Montrer l’exemple
    Les dirigeants et managers doivent eux-mêmes adopter l’IA et partager leurs expériences avec leurs équipes. L’exemple des leaders encourage les employés à explorer les solutions IA en premier lieu pour résoudre les problèmes, favorisant ainsi une culture d’innovation.
  • Encourager les démonstrations d’IA
    Organisez des événements où les employés peuvent présenter leurs utilisations de l’IA, comme des hackathons ou des sessions de partage rapide. Ces moments permettent de découvrir les talents cachés et d’encourager le partage de bonnes pratiques au sein de l’entreprise.
  • Favoriser une communauté IA interne
    Créez une communauté de pionniers (experts et d’enthousiastes de l’IA) au sein de l’entreprise. Identifiez et soutenez ceux qui maîtrisent ces technologies pour qu’ils puissent partager leurs connaissances et créer un environnement collaboratif autour de l’IA.
  • Offrir les outils et la formation
    Donnez accès aux meilleurs outils IA disponibles, comme GPT-4 ou Gemini, et proposez des formations adaptées. Même une simple introduction peut permettre aux employés de découvrir le potentiel de l’IA et les encourager à innover dans leur travail quotidien.

Les talents d’innovation en matière d’IA se trouvent au sein de votre organisation. Vous devez créer l’opportunité pour qu’il s’épanouisse. Les pionniers peuvent y contribuer.

Mais il existe également un rôle pour un effort d’innovation plus ciblé : le laboratoire.

Un laboratoire futuriste regorge d'innovations tandis que des scientifiques en blouse blanche travaillent sur des postes informatiques. Une grande chambre cylindrique éclairée se dresse au centre de ce moteur d'innovation. Les murs affichent des écrans numériques lumineux remplis de données et de graphiques complexes, mettant en valeur l'avenir de l'IA en entreprise.

L’approche du laboratoire

Bien que l’innovation décentralisée soit cruciale, un effort plus centralisé est également indispensable pour structurer l’utilisation de la recherche et du développement au sein de votre organisation. Le laboratoire doit être composé d’experts en IA, avec un mélange de technologues et de non-technologues. Heureusement, les pionniers – ces passionnés qui explorent l’IA et partagent volontiers leurs découvertes – sont déjà présents au sein de votre entreprise. Ce sont eux qui formeront l’équipe du laboratoire, où leur travail sera principalement, voire exclusivement, axé sur l’IA. Leur mission ne sera pas de se concentrer sur des analyses abstraites ou des stratégies éloignées du terrain, mais bien sur la construction concrète. Voici les axes principaux de ce qu’ils construiront :

  1. Développer des référentiels IA propres à votre entreprise
    L’établissement de repères spécifiques est essentiel pour évaluer la performance des modèles d’IA sur les tâches que vous réalisez réellement au quotidien. La majorité des laboratoires IA se contentent de tester le codage ou les connaissances à choix multiples, mais cela ne vous indique pas quel modèle est le plus performant pour rédiger un texte, analyser des données financières, ou lire des documents juridiques. Vous devez définir des critères d’évaluation sur des tâches critiques et spécifiques à votre entreprise. Sans ces points de référence, vous avancez à l’aveugle et ne pouvez pas juger de la qualité ni des améliorations des systèmes d’IA au fil du temps.
  2. Transformer les idées des pionniers en solutions pratiques
    Prenez les idées issues des pionniers et transformez-les rapidement en outils ou en produits. Faites des essais, testez ces solutions, puis déployez-les au sein de l’organisation tout en mesurant leur impact. Il s’agit de faire émerger des innovations pratiques à partir des intuitions et découvertes des pionniers.
  3. Concevoir des solutions imparfaites… pour l’instant
    Imaginez ce que pourrait accomplir un agent d’IA s’il était chargé de toutes les tâches d’un processus clé de l’entreprise. Construisez ce prototype et identifiez les points où il échoue. À chaque sortie d’un nouveau modèle d’IA, testez-le sur votre solution pour voir si les nouvelles avancées comblent les lacunes identifiées. Ce processus vous permet de rester à la pointe de l’innovation, en vous préparant à déployer rapidement des solutions lorsque les modèles d’IA dépasseront certains seuils critiques.
  4. Créer des démonstrations et des expériences marquantes
    Beaucoup n’ont pas encore pleinement pris conscience de l’impact que peut avoir l’IA. En montrant des exemples concrets et parfois étonnants de ce que l’IA peut accomplir, vous aidez à illustrer son potentiel transformationnel. Proposez des démonstrations impressionnantes où l’IA réussit des tâches que l’on croyait impossibles, et montrez les dernières avancées pour créer un effet de surprise et d’émerveillement, tout en sensibilisant votre organisation. Et vous aurez de nouveaux pionniers.

En résumé, les pionniers innovent, et le laboratoire construit et teste. Un effort de recherche et développement interne efficace repose sur cette synergie entre innovation décentralisée et centralisation stratégique.

Mais pour que cette dynamique prenne réellement forme à l’échelle de l’organisation, il est nécessaire de s’appuyer sur un acteur clé : les ressources humaines.

Un fond numérique futuriste avec des lignes et des circuits interconnectés met en valeur le texte lumineux « RH = R&D » en son centre, agissant comme un moteur d'innovation. Sur fond sombre, des lumières bleues et orange brillantes renforcent son essence dynamique.

Le rôle essentiel des RH dans l’adoption de l’IA

L’innovation en matière d’IA est intrinsèquement liée aux employés. C’est pourquoi la fonction Ressources Humaines (RH) joue un rôle crucial dans la transformation numérique de l’entreprise. Les RH doivent identifier, fédérer et accompagner les « pionniers » qui expérimentent l’IA de manière informelle. Cela implique de créer des programmes de formation adaptés, pour que chaque salarié comprenne les usages possibles de l’IA dans son métier, quelle que soit sa fonction. Cette dimension transversale est essentielle, car l’IA touche tous les secteurs de l’entreprise, même si elle s’applique de manière différente selon les postes.

Les RH doivent également mettre en place des espaces de partage et des initiatives collaboratives, telles que des communautés internes ou des plateformes de discussion, pour permettre aux salariés d’échanger sur leurs pratiques. En établissant un climat de confiance et en garantissant un accompagnement sur les enjeux éthiques et opérationnels, les RH encouragent les employés à partager leurs expérimentations et à devenir des moteurs de l’innovation collective. Ce travail de coordination est indispensable pour maximiser les bénéfices de l’IA et transformer les initiatives individuelles en une dynamique collective de transformation.

Est-ce que finalement, les RH ne seraient pas les nouveaux R&D ?

Ce n’est qu’un début

À long terme, l’innovation seule ne suffira pas à garantir la prospérité des entreprises, surtout si les capacités de l’IA continuent de progresser à un rythme effréné. Les entreprises auront besoin de dirigeants capables de comprendre et de maîtriser les enjeux liés à l’IA. Actuellement, nos organisations sont conçues autour des limites et des avantages de l’intelligence humaine, la seule forme d’intelligence que nous connaissions. À présent, nous devons repenser les processus et les structures organisationnelles qui ont été développés sur des décennies, afin de les adapter à cette « intelligence » différente que représente l’IA. Il ne s’agit pas uniquement de recherche et de développement, mais de redéfinir les structures, les objectifs organisationnels, et de redéfinir le rôle des humains et des machines dans les organisations de demain. La marche à suivre n’est pas encore bien définie, mais il est crucial que les entreprises, avec l’aide de leurs équipes, commencent à se pencher sur ces enjeux dès aujourd’hui.

Cependant, cette approche pourrait ne pas être suffisamment radicale. Les sociétés d’IA visent un objectif ambitieux : créer des IA qui surpasseront les humains dans toutes les tâches intellectuelles. Ils promettent que nous aurons bientôt des agents autonomes (des IA capables de planifier et d’agir indépendamment, en fonction de leurs propres objectifs). Comme l’indique la feuille de route d’OpenAI, ces sociétés pensent qu’ils pourront, à terme, concevoir des IA capables de prendre en charge l’ensemble des opérations des entreprises. Même si une telle révolution n’aboutit pas entièrement, le moindre progrès en ce sens pourrait déjà transformer en profondeur le fonctionnement des organisations, bien au-delà de ce que nous pouvons envisager aujourd’hui.

Pour se préparer à cette incertitude, les entreprises devront reprendre un certain contrôle et commencer à explorer ce nouveau paradigme par elles-mêmes. Elles ne peuvent pas attendre que tout se concrétise : l’heure est venue d’anticiper et de s’adapter à ce futur encore incertain.

Sources :

https://bfi.uchicago.edu/insights/the-adoption-of-chatgpt/

https://static1.squarespace.com/static/60832ecef615231cedd30911/t/66f0c3fbabdc0a173e1e697e/1727054844024/BBD_GenAI_NBER_Sept2024.pdf

https://www.oneusefulthing.org/p/centaurs-and-cyborgs-on-the-jagged

https://evhippel.mit.edu

https://www.oneusefulthing.org/p/ai-in-organizations-some-tactics